La Tribune: Qu’attend la France pour s’intéresser vraiment à l’Azerbaïdjan ?

22 November 2013, 16:20

La Tribune

THIERRY MARIANI
 



Si la visite prochaine à Bakou de Nicole Bricq, Ministre français du Commerce extérieur, constitue assurément une excellente nouvelle, il est permis de se demander si la France prend réellement toute la mesure du rôle économique, stratégique et culturel de l'Azerbaïdjan, à la fois dans sa dimension régionale et sous l'angle de ses relations avec l'Union européenne.

Pour un esprit français, le Caucase évoque spontanément des pays comme l'Arménie ou la Géorgie. L'Azerbaïdjan est, au mieux méconnu, au pire sous-estimé. Même les entreprises françaises ne semblent pas toujours mesurer l'ampleur du bouleversement géopolitique et économique en cours dans les pays du Caucase et le potentiel économique que représente l'Azerbaïdjan. Il y a là un vrai paradoxe dès lors que l'Azerbaïdjan s'affirme résolument comme la locomotive économique de la région, très loin devant ses voisins géorgien et arménien.

L'Azerbaïdjan pourrait limiter la dépendance de l'Europe à la Russie

Au plan énergétique, l'Azerbaïdjan est en passe de devenir un partenaire essentiel de l'Union européenne, en offrant à cette dernière la possibilité de limiter sa dépendance à l'égard de la Russie pour son approvisionnement en gaz. Pour exporter le gaz du gigantesque gisement Shah Deniz (860 km2, 1200 milliards de m3), Bakou vient en effet de choisir le gazoduc Transadriatique (TAP), qui traversera l'Albanie et la Grèce pour aboutir en Italie. En transitant par le « corridor sud », le gaz d'Azerbaïdjan et du Turkménistan, qui contournera donc la Russie, offrira ainsi une alternative stratégique aux Européens.

Les décideurs politiques et économiques français prennent bien entendu toute la mesure de ces enjeux énergétiques. De fait, la France est aujourd'hui le deuxième importateur de produits azerbaïdjanais, principalement dans le secteur de l'énergie. Mais elle ne figure qu'en neuvième place des pays fournisseurs, loin derrière la Russie, la Turquie, les Etats-Unis et l'Allemagne. Alors que plus de 300 entreprises britanniques et 100 entreprises allemandes opèrent en Azerbaïdjan, le nombre d'entreprises françaises ne s'y élève qu'à une cinquantaine, principalement dans le secteur des hydrocarbures.

Une économie en pleine mutation

Or, l'enjeu économique de l'Azerbaïdjan ne se résume pas, loin s'en faut, au secteur énergétique. Bien sûr, entre 2005 et 2007, le pays a enregistré des taux de croissance parmi les plus élevés dans l'Histoire économique (entre 25% et 35% !), une performance essentiellement portée par le secteur des hydrocarbures et par un environnement général propice au développement économique. Depuis, la baisse de la production a freiné le taux de croissance très sensiblement.

Afin d'être moins tributaire de ces variations de volumes et de prix des hydrocarbures, l'Azerbaïdjan a engagé un processus ambitieux de diversification de son économie vers des secteurs non pétroliers, comme l'agro-alimentaire, le développement durable, les infrastructures et les hautes technologies. Dans tous ces secteurs, la France dispose d'atouts considérables, qu'elle pourrait utilement développer si elle pariait sur l'essor économique de l'Azerbaïdjan.

Un patrimoine qu'il faut conserver

Si l'Union Européenne et la France ont besoin de l'Azerbaïdjan, la réciproque est toute aussi vraie. Prenons un exemple. Bakou, mégapole de 2 millions d'habitants, connaît, depuis une vingtaine d'années, un essor urbain mal maîtrisé, lié à la hausse rapide du niveau de vie. Malgré d'importants efforts d'aménagement du bord de mer, la réhabilitation de ses quartiers historiques constitue un enjeu extrêmement sensible, notamment s'agissant des immeubles "haussmanniens" du début du XX° siècle, reflet de l'époque faste où l'Azerbaïdjan était l'un des principaux fournisseurs de pétrole du monde.

L'expertise française en matière d'urbanisme serait d'un grand apport pour Bakou à la fois pour la préservation de son patrimoine historique mais aussi pour l'accorder aux exigences d'une ville du XXIème siècle, tant en matière d'environnement que d'utilisation des TIC.

Un pays ouvert sur l'Occident


D'un point de vue culturel et politique, France et Azerbaïdjan ont aussi beaucoup à partager. L'Azerbaïdjan propose un modèle de laïcité réussi et original, dans un pays à majorité chiite, qui est aussi producteur et consommateur de vin et qui a choisi résolument de s'ouvrir à l'Occident, affirmant ainsi l'indépendance de sa diplomatie, qui n'est alignée ni sur Moscou ni sur Téhéran.

A ceux, parmi mes compatriotes qui mettent en question le respect des droits de l'homme en Azerbaïdjan, je répondrais en disant qu'en matière diplomatique et économique, je crois aux vertus du dialogue politique et à l'ouverture économique et culturelle entre les peuples, et que les indignations sélectives dans ce domaine me paraissent autant vaines que suspectes.

Des caractéristiques propices à la création d'un lien fort avec la France

Notre intérêt économique autant que stratégique commande de nous intéresser de plus près aux transformations en cours dans le Caucase et à la place éminente de l'Azerbaïdjan. Pôle de développement économique majeur de la région caucasienne, qui propose à l'Europe une alternative en matière de sécurité énergétique, affirme son indépendance sur la scène diplomatique et développe à l'intérieur un modèle de laïcité qui a fait ses preuves...
Voilà un pays qui présente des caractéristiques intéressantes vues de France et propices à la création d'un lien fort et durable. Espérons que la visite du ministre français du commerce extérieur annonce des perspectives bénéfiques et enrichissantes pour nos deux pays.

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